Wole Soyinka interdit de séjour aux États-Unis : le Nobel nigérian transforme la sanction en déclaration de liberté. Une pirouette magistrale.
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Lagos, 29 octobre 2025 – À 91 ans, Wole Soyinka n’a rien perdu de sa verve. Le géant de la littérature africaine, premier lauréat noir du Nobel en 1986, a accueilli avec un sourire en coin la nouvelle de l’annulation de son visa américain. La décision, brutale et sans appel, lui a été signifiée par le consulat des États-Unis à Lagos. En conséquence, elle lui interdit désormais de fouler le sol américain. Loin de s’en émouvoir, cependant, l’écrivain a tourné la mesure en dérision, qualifiant la notification d’« épître amoureuse un peu bizarre » et lançant, non sans ironie : « Ne vous fatiguez pas, je suis persona non grata là-bas. »
Une révocation symbolique, reflet d’un bras de fer ancien
Il faut dire que ce retrait n’est pas un coup de théâtre isolé. Depuis des années, Soyinka, plume acérée et conscience rebelle, dénonce la politique migratoire de l’administration Trump, qu’il assimile à une dérive autoritaire. De fait, en 2016, au lendemain de l’élection du magnat de l’immobilier, il avait incinéré sa « green card » en signe de protestation, refusant de vivre dans un pays gangrené par la xénophobie. Aujourd’hui, la révocation du visa semble ainsi clore un chapitre déjà bien entamé, sur fond de tensions persistantes.
La missive officielle, expédiée par le Département d’État, invoque une clause discrétionnaire : les autorités américaines peuvent retirer un visa « à tout moment, sans motif explicite ». On lui demande même de restituer son passeport pour y apposer la mention d’invalidité. Soyinka, qui a enseigné à Harvard et Cornell pendant des décennies, balaie l’affaire d’un revers philosophique : « Je suis ravi de cette résolution. Plus de visa, plus d’accès aux États-Unis. Point final. »
Des critiques qui dérangent : de la frontière à la tyrannie
Au cœur de ses invectives figurent les mesures anti-immigration de Trump : rafles massives, séparation des familles à la frontière sud, un traitement qu’il juge « inhumain », évoquant ainsi des « femmes âgées et des enfants cueillis comme des fruits dans la rue ». Plus mordant encore, il a osé une comparaison explosive, assimilant le président américain à Idi Amin Dada, le tyran ougandais des années 1970, surnommé le « Boucher de l’Afrique ». « Il agit en despote et devrait aussi s’en enorgueillir », avait-il lancé récemment — une pique qui pourrait bien avoir précipité la sanction.
Soyinka sait de quoi il parle. Emprisonné en 1967, puis exilé en 1994 pour avoir défié la dictature d’Abacha, il a frôlé la mort sous les juntes nigérianes. C’est pourquoi ses quelque soixante ouvrages, des drames comme A Dance of the Forests aux mémoires incisifs, tissent également une fresque de résistance contre l’oppression, du continent africain au monde. À l’heure où il boucle un demi-siècle de Nobel, il affirme n’avoir « plus rien à chercher outre-Atlantique », sauf un improbable revirement politique.
Wole Soyinka : une voix libre, un exil assumé
En définitive, pour le Nigeria et l’Afrique, cette affaire sonne comme un rappel : Soyinka reste une sentinelle de la liberté, dont les mots piquent là où ça fait mal. Bien qu’il se dise soulagé par cette « libération » forcée, il n’exclut pas pour autant un retour si les vents changent à Washington. En attendant, ses pairs et admirateurs saluent un geste qui, paradoxalement, renforce aussi son aura de dissident éternel.
Dans un tweet laconique, il a conclu : « Ceux qui m’invitent là-bas économiseront leur billet. » Cette pirouette, à elle seule, vaut un chapitre de plus dans l’épopée d’un immortel de la plume.
