Bénin : l’arrestation de Comlan Hugues Sossoukpè, un coup de semonce contre la liberté d’expression ?
Cotonou, 14 juillet 2025 – Une véritable onde de choc parcourt le Bénin et la sous-région depuis l’arrestation brutale, le 10 juillet 2025, de Comlan Hugues Sossoukpè, journaliste et web-activiste. Exilé au Togo depuis 2019, où il bénéficiait du statut crucial de réfugié, Sossoukpè a été extradé vers Cotonou en un temps record, avant d’être incarcéré à la prison civile de Ouidah.
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Présenté à la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET), cet épisode soulève des questions brûlantes sur la liberté d’expression, la coopération régionale et les dérives d’un pouvoir qui semble prêt à tout pour museler ses critiques. Alors que le porte-parole du gouvernement, Wilfried Léandre Houngbédji, tente de justifier l’injustifiable, l’affaire Sossoukpè devient le symbole effrayant d’une tension croissante entre patriotisme invoqué et répression déguisée.
Un piège abidjanais : l’étrange extradition de Comlan Hugues Sossoukpè
Invité à Abidjan pour couvrir la première édition de l’Ivoire Tech Forum, un événement organisé par le ministère ivoirien de la Transition Numérique, Comlan Hugues Sossoukpè ne se doutait pas qu’il marchait dans un piège. Dans la nuit du 10 juillet, des agents l’ont interpellé dans des circonstances opaques, loin des projecteurs de l’événement auquel il participait en tant que journaliste accrédité.
Quelques heures seulement plus tard, il a été extradé vers le Bénin, un transfert d’une rapidité déconcertante qui soulève de profondes interrogations sur la légalité de la procédure. De fait, selon le Réseau Ouest-Africain des Défenseurs des Droits Humains (ROADDH), cette opération viole ouvertement la Convention de Genève de 1951, qui protège les réfugiés comme Sossoukpè, installé à Lomé depuis sept ans.
Le lendemain, les autorités béninoises ont présenté Sossoukpè au procureur spécial de la CRIET, juridiction controversée que l’on accuse souvent de servir les intérêts du pouvoir. D’ailleurs, elles lui ont imputé des chefs d’accusation — incitation à la rébellion, apologie du terrorisme, harcèlement électronique et diffusion de fausses nouvelles — qui restent flous et suscitent une large indignation.umission ? Pour beaucoup, la réponse est déjà claire.
« Cette arrestation ressemble à une chasse à l’homme orchestrée pour faire taire une voix dissidente », s’est insurgé Déo-Gracias Kindoho, un proche du journaliste, dans une publication virale sur les réseaux sociaux.
Le « patriotisme » en question : une rhétorique inquiétante du gouvernement
Face à la polémique croissante, Wilfried Léandre Houngbédji, porte-parole du gouvernement, a choisi la tribune du patriotisme pour justifier l’opération. Dans une déclaration récente, il a appelé les citoyens à « aimer le Bénin » et à se méfier des « suppôts de l’ennemi » qui, sous couvert de liberté d’expression, propageraient des rumeurs pour déstabiliser le pays.
Pire encore, évoquant explicitement Sossoukpè, il a dénoncé des « officines étrangères » à l’œuvre, sans apporter de preuves concrètes. Cette rhétorique, qui assimile désormais critique à trahison, gravement inquiète les défenseurs des droits humains.
« Accuser un journaliste de déstabilisation pour ses publications sur les réseaux sociaux est une manœuvre classique pour détourner l’attention des vrais problèmes », note un analyste politique béninois, sous couvert d’anonymat.
En effet, Sossoukpè, directeur du média en ligne Olofofo, s’est distingué par ses enquêtes courageuses, notamment sur les conditions carcérales, comme celles de la prison d’Akpro-Missérété, où il avait alerté sur l’état sanitaire désastreux et le décès du détenu Radji Latif en 2023. Ces révélations, relayées par plus de 69 000 abonnés sur Facebook, ont valu à Olofofo une interdiction de publication au Bénin en mars 2025 par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication.
La CRIET sous pression : un instrument de répression politique ?
La CRIET, au cœur de cette affaire, est une fois de plus pointée du doigt pour son rôle dans la répression des voix dissidentes. Créée pour lutter contre les infractions économiques et le terrorisme, cette cour est massivement accusée de servir d’instrument politique pour museler les opposants. L’arrestation de Sossoukpè fait écho à celle de Steve Amoussou, un autre cyberactiviste condamné en juin 2025 à deux ans de prison ferme pour des accusations similaires.
L’absence de transparence sur le mandat d’arrêt international et les conditions de l’extradition renforce les soupçons d’abus de pouvoir.
« Nous exigeons une communication immédiate et détaillée sur la situation de Sossoukpè », a déclaré Me Dagbedji, l’un des avocats du journaliste, dans un communiqué cinglant.
Le silence des autorités ivoiriennes, qui ont accueilli Sossoukpè avant de le livrer aux autorités béninoises, ajoute une couche de complexité. Certains observateurs y voient une collusion alarmante entre les présidents Alassane Ouattara et Patrice Talon, deux dirigeants aux relations étroites.
« Cette affaire pourrait tendre les relations diplomatiques dans la sous-région, surtout si la Côte d’Ivoire est perçue comme complice d’une violation des droits d’un réfugié », avertit un juriste ouest-africain.
Le Bénin, de modèle démocratique à l’intimidation des médias
L’arrestation de Sossoukpè intervient dans un contexte où la liberté de la presse au Bénin est sous pression constante. Depuis l’arrivée au pouvoir de Patrice Talon en 2016, les médias indépendants et les voix critiques font face à des restrictions croissantes. L’interdiction d’Olofofo et les poursuites contre des journalistes comme Sossoukpè illustrent un climat d’intimidation flagrant.
« Le Bénin, autrefois modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest, glisse dangereusement vers une gouvernance autoritaire où la critique est criminalisée », déplore le Collège d’avocats de Sossoukpè dans un communiqué publié à Paris le 13 juillet.
L’appel de Houngbédji à la « conscience patriotique » sonne creux pour beaucoup, qui y voient une tentative désespérée de détourner l’attention des véritables enjeux : la transparence judiciaire, le respect des droits humains et la liberté d’expression.
Comlan Sossoukpè : un symbole inattendu de résistance
Comlan Hugues Sossoukpè, avec son journalisme engagé et son activisme numérique, incarne une résistance farouche face à l’érosion des libertés au Bénin. Son arrestation, loin de le réduire au silence, amplifie paradoxalement son message. Sur les réseaux sociaux, les hashtags #LibérezSossoukpè et #JusticePourOlofofo gagnent en popularité, portés par une jeunesse qui refuse de se taire.
En somme, à l’heure où le Bénin se prépare aux élections de 2026, cette affaire met en lumière les défis d’une démocratie fragilisée. Le sort de Sossoukpè, détenu à Ouidah, sera un test décisif pour l’État de droit et pour l’engagement du gouvernement à respecter les valeurs qu’il prétend défendre. En attendant, la question demeure : le patriotisme invoqué par Houngbédji est-il un appel à l’unité nationale ou une injonction à la soumission ? Pour beaucoup, la réponse est déjà claire.
