Cotonou, 8 décembre 2025 — À l’aube du 7 décembre 2025, un silence brutal a figé les rues de Cotonou, capitale économique du Bénin. En effet, le bourdonnement incessant des motos-taxis et le commerce effervescent du marché Dantokpa ont été brutalement remplacés par le grondement sourd des coups de feu. Un groupuscule de militaires dissidents tentait de renverser l’ordre établi, déclenchant une alerte nationale qui a rapidement tourné au fiasco.
Moins de quatre heures après leur irruption à la télévision publique, les putschistes ont été neutralisés, et le président Patrice Talon a réaffirmé son autorité depuis le palais présidentiel. Cependant, ce coup d’État raté, le plus bref de l’histoire récente de l’Afrique de l’Ouest, soulève des questions sur les fissures internes de l’armée béninoise et les tensions politiques persistantes dans ce bastion de la démocratie ouest-africaine. Retour exhaustif sur une journée qui a failli basculer dans le chaos.
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Une aube de tension : les premières détonations et l’assaut raté
Tout a commencé vers 4 heures du matin, heure locale, au cœur de Cotonou. Des tirs sporadiques ont retenti dans le quartier stratégique de Camp Guézo, qui abrite une importante base militaire et se trouve à proximité immédiate du Palais de la Marina, siège de la présidence de la République. La ville portuaire, vibrant d’une énergie cosmopolite, a vu ses axes majeurs bloqués. Selon des témoins contactés sur place, une dizaine d’hommes en uniforme, armés de fusils d’assaut AK-47, ont tenté de forcer l’entrée de la résidence présidentielle. À 7 h 15, l’Ambassade de France à Cotonou a relayé sur les réseaux sociaux une alerte sécuritaire :
« Des coups de feu ont éclaté au Camp Guézo, près du domicile du président de la République. Nous invitons les Français à rester chez eux par mesure de sécurité. »
Pendant ce temps, l’autre front de l’assaut se jouait à quelques kilomètres de là. Un commando restreint – estimé à une vingtaine d’hommes – a forcé l’entrée des studios de l’Office de Radiodiffusion et de Télévision du Bénin (ORTB), la chaîne nationale, dans le quartier Akpakpa. À 6 h 30 précises, huit officiers et sous-officiers, menés par le lieutenant-colonel Pascal Tigri – un vétéran de 48 ans connu pour ses critiques sur la gestion sécuritaire au nord du pays –, ont investi les studios et interrompu la programmation. Ils se sont autoproclamés « Comité Militaire pour la Refondation » (CMR).

Les griefs du CMR : sécurité, injustice et remise en cause des libertés
Dans une déclaration lue d’une voix ferme, Tigri a proclamé : « M. Patrice Talon est démis de ses fonctions de président de la République. » Les putschistes invoquaient une litanie de griefs : la « dégradation continue de la situation sécuritaire au nord du Bénin » face aux incursions jihadistes ; la « négligence envers les soldats tombés au front » ; des « promotions injustes » ; et une « remise en cause déguisée des libertés fondamentales ». Le communiqué annonçait également la suspension de la Constitution révisée en novembre 2025, la dissolution de toutes les institutions d’État et la fermeture des frontières, avant que l’écran ne passe au noir.

La riposte fulgurante : loyauté de l’armée et arrestations express
La réponse du pouvoir n’a pas tardé. Dès 8 h, des unités de la Garde républicaine – corps d’élite chargé de la protection du chef de l’État – ont lancé une contre-offensive coordonnée. Les loyalistes, mieux équipés et numériquement supérieurs, ont immédiatement concentré leurs efforts sur la capitale économique. Comme l’a souligné le ministre des Affaires étrangères, Olushegun Bakari, interrogé par des agences internationales : « Une grande partie de l’armée, la Garde nationale, est toujours loyale au président et contrôle la situation. »
Des unités de la Garde républicaine, commandées par le général de division Abou Issa, ont encerclé le bâtiment de l’ORTB dans le quartier Akpakpa. Bien que des échanges de tirs sporadiques aient été rapportés, l’opération a été rapide : en effet, à 8 h 45, la transmission des putschistes était coupée, après une occupation d’à peine plus de deux heures. Immédiatement, treize militaires ont été arrêtés sur place, dont plusieurs officiers subalternes. Par ailleurs, parmi eux, un sous-lieutenant déjà radié des effectifs pour indiscipline, selon une source proche du dossier. Toutefois, le lieutenant-colonel Tigri, figure centrale du complot, reste en fuite, traqué par les autorités qui ont lancé un mandat d’arrêt national et une récompense de 50 millions de FCFA.
Le Ministre de l’Intérieur officialise l’échec du putsch à 9 h 30.
À 9 h 30, le ministre de l’Intérieur, Alassane Seidou, prenait l’antenne pour officialiser l’échec du putsch. Il a déclaré, le ton martial mais rassurant, que le groupuscule n’avait pu prendre ni la résidence présidentielle ni les centres de commandement clés. Le président Talon, dont la sécurité avait été confirmée dès les premières heures, est rentré au palais sous escorte renforcée.

La réponse régionale et les frappes nigérianes
L’événement n’est pas resté confiné aux frontières béninoises, provoquant une riposte régionale musclée. Dès 11 h, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a réagi avec une célérité inhabituelle, ordonnant le « déploiement immédiat » de troupes en provenance du Nigeria, de Sierra Leone, de Côte d’Ivoire et du Ghana pour soutenir l’ordre constitutionnel. D’ailleurs, la présidence nigériane est allée plus loin : à 14 h, elle confirmait avoir lancé des frappes aériennes ciblées sur Cotonou, à la demande expresse de Talon.
Des jets nigérians ont décollé de la base de Lagos, larguant des munitions sur des caches présumées dans la banlieue ouest de la ville. Ces explosions, qualifiées de « sauvegarde de l’ordre constitutionnel », ont été entendues en fin d’après-midi, près des casernes de la Garde nationale, semant une brève panique parmi les riverains.
Remy Agblo, un commerçant de 62 ans, y voyait un écho du passé : « Aujourd’hui, c’est comme si je revivais ce que nos parents ont vécu en 1972, avec le dernier vrai coup d’État. Heureusement que ça a été déjoué vite. »
Le président de la Commission de l’Union africaine (UA), Mahamoud Ali Youssouf, a pour sa part condamné « fermement et sans équivoque » la tentative, soulignant l’inquiétude régionale face à la vague de coups d’État qui a secoué le Sahel.

Bénin : l’aide discrète et la coordination diplomatique
Sur le plan diplomatique, le rôle de coordinateur de Paris dans la sous-région n’a pas tardé à se manifester. Un appel téléphonique entre le président français Emmanuel Macron et son homologues nigérian Bola Tinubu, survenu en matinée, a permis aux observateurs d’interpréter l’événement comme un feu vert implicite à l’intervention.
Des sources évoquent par ailleurs une aide cruciale de la France via ses services de renseignement. Pendant toute l’après-midi, un avion de surveillance de l’armée française, un Beechcraft Air King 350 (capable de brouiller les lignes et de transmettre les positions stratégiques en temps réel), a décollé de l’aéroport de Cotonou. Il a ensuite effectué des cercles au-dessus de la capitale. Un autre avion militaire, très utilisé par l’armée française, a aussi décollé d’Abidjan pour le Bénin et a coupé son radar avant de se poser à Cotonou.
Enfin, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, s’est dit « profondément préoccupé » tandis que les États-Unis, via leur ambassade à Abidjan, saluaient la « réponse rapide des institutions béninoises » et promettaient un soutien logistique via l’AFRICOM.

Le discours de Talon : une mise au point ferme et des promesses d’enquête
C’est en soirée, vers 20 h, que Patrice Talon a brisé son silence. Apparu en direct sur Benin TV depuis le Palais de la Marina à Cotonou, le chef de l’État a multiplié les gestes rassurants.
« La situation est totalement sous contrôle. La sécurité et l’ordre public seront maintenus partout sur le territoire national », a-t-il déclaré d’une voix posée, saluant les « forces armées restées fidèles à leur serment républicain ».
Il a qualifié l’épisode de « forfaiture d’une gravité extrême de certains aventuriers », promettant que « cette aventure ne restera pas impunie » et évoquant des « acteurs politiques » tapis dans l’ombre, sans les nommer.
Talon a ensuite évoqué l’étendue de l’enquête en cours : interrogatoires des 13 détenus, perquisitions dans les casernes, et collaboration avec la CEDEAO pour traquer les fuyards.
« Le Bénin reste une démocratie stable. Ceux qui rêvent de plonger notre pays dans le chaos rencontreront toujours la ferme résistance de nos institutions et de notre peuple », a-t-il martelé, avant de conclure par un vibrant « Vive la République, vive le Bénin ! »
Contexte : un Bénin sous tension depuis des mois
Pour comprendre ce putsch avorté, il faut remonter aux racines des frustrations. Le Bénin, longtemps considéré comme un modèle de stabilité démocratique post-coloniale en Afrique de l’Ouest, traverse une période de frictions internes profondes. Depuis son accession au pouvoir en 2016, Patrice Talon – l’ancien magnat du coton surnommé le « Résilient » – a certes imposé un train de réformes musclées (numérisation, lutte contre la corruption), mais à un coût démocratique élevé.
Sa réélection en 2021, lors d’un scrutin largement boycotté par l’opposition, a entraîné une série de mesures perçues comme autoritaires. Il a notamment validé, en novembre 2025, une révision constitutionnelle qui allonge le mandat présidentiel et suspend les activités des partis politiques pendant six mois. À cela s’ajoutent la disqualification du principal parti d’opposition des joutes électorales de 2026 et l’emprisonnement de plusieurs leaders politiques.
L’armée, pilier traditionnel du régime, n’est pas en reste. Les griefs sont clairs : promotions opaques, et retards de paiement des indemnités aux veuves de soldats tués au front. Pascal Tigri, le cerveau présumé, est un officier aguerri des opérations au Pendjari, où il a perdu des camarades face aux djihadistes. Son appel à la « refondation » résonne directement avec les coups d’État récents au Sahel (Mali, Burkina, Niger), même si le Bénin a toujours résisté à cette vague. Ces fissures, tant civiles que militaires, suggèrent aussi que sans un dialogue inclusif et une résolution des problèmes de gouvernance au sein de l’armée, le risque de récidive demeure plus que probable.
Conséquences : une ville qui reprend son souffle
À la tombée de la nuit, Cotonou exhalait un mélange de soulagement et d’appréhension. Mais, ce lundi matin, Cotonou respirait un calme relatif. Les autorités ont levé certains barrages, les hélicoptères ont regagné leurs bases et le port – poumon économique – a repris ses activités. Pourtant, la capitale s’est vidée plus tôt que d’habitude, les familles optant pour la prudence. Sur le plan judiciaire, les enquêtes s’annoncent musclées. Talon a promis que « cette aventure ne restera pas impunie », évoquant des peines exemplaires pour dissuader d’éventuels imitateurs. Internationalement, l’épisode renforce l’image d’un Bénin résilient, cependant expose les failles d’une CEDEAO en perte d’autorité face aux juntes.
Bénin : l’avertissement du « coup de 45 minutes »
Finalement, le 7 décembre 2025 restera comme un avertissement : dans un Bénin où la démocratie est un acquis fragile, forgé dans le sang des transitions pacifiques des années 1990, les armes peuvent encore parler. Patrice Talon, affaibli mais debout, a gagné une bataille, mais la guerre pour la cohésion nationale ne fait que commencer. Le pays, porte d’entrée de l’Afrique de l’Ouest, ne peut se permettre une autre secousse. Pour l’heure, les Béninois, pragmatiques, reprennent le fil de leur quotidien, espérant que ce « coup de 45 minutes » – comme l’ont surnommé les réseaux sociaux – soit le dernier. En Afrique de l’Ouest, la démocratie est un équilibre précaire, maintenu par la vigilance des institutions et la solidarité des voisins. Pour l’heure, le Bénin respire. Mais les ombres du lendemain planent déjà.
