Alors que le Bénin rêve de hisser son économie sur les rampes du numérique, un coup de tonnerre réglementaire vient fissurer l’euphorie technophile. L’ARCEP-Bénin a infligé, le 15 janvier 2025, une amende historique de 4,8 milliards de FCFA aux géants MTN et Moov Africa pour désertion connectique,un camouflet sans précédent dans un pays où 52 % de la population navigue encore en zone blanche. Une sanction qui sonne comme un aveu : derrière les promesses de couverture universelle, le pays bute sur une fracture numérique chronique.
MTN et Moov Africa : Réseaux fantômes, factures bien réelles
D’après les audits de l’ARCEP, ni MTN ni Moov Africa n’ont honoré leurs engagements de couvrir les axes routiers et les arrondissements en 3G/4G de 2020 et 2021. Les résultats sont catastrophiques avec un bilan lunaire : sur 99 arrondissements contrôlés en 2023, MTN n’a brillé que dans le 5ᵉ de Porto-Novo (en 3G), tandis que Moov affichait un zéro pointé absolu. Les artères économiques vitales Cotonou-Malanville, Parakou-Djougou restent quant à elles des corridors du silence numérique, privant voyageurs et entrepreneurs de tout accès fiable.
Malgré une mise en demeure en 2022, les deux opérateurs ont persisté dans une inertie infrastructurale, poussant l’ARCEP à actionner l’article 239 du Code du numérique. Résultat : MTN écope de 3,35 milliards de FCFA (1,5 % de son CA 2023), Moov de 1,5 milliard à verser sous 60 jours. Un rappel à l’ordre financier qui cache mal un paradoxe : comment ces mastodontes, piliers d’un secteur contribuant à 960 milliards de FCFA au PIB en 2023, ont-ils pu déserter le front de la connectivité ?
GSMA : l’économie béninoise suspendue à un clic
Dans un ironique contretemps, la GSMA a publié le 30 janvier dernier un rapport prophétisant un boom numérique : une transformation digitale boostant le PIB de 1 200 milliards de FCFA d’ici à 2028, créant 300 000 emplois et générant 150 milliards de recettes fiscales. Agriculture, industrie, transport, tous les secteurs y gagneraient, à condition de combler l’abîme entre villes connectées et campagnes oubliées.
« Le Bénin est à un carrefour : soit il devient un laboratoire de l’inclusion numérique, soit il reste prisonnier de ses zones grises», analyse Angela Wamola, directrice Afrique subsaharienne de la GSMA. Un plaidoyer pour des réformes urgentes : révision des indicateurs de couverture, baisse des taxes sectorielles, subventions aux terminaux mobiles… Autant de leviers pour transformer l’essai.
Sanctions ou électrochoc pour MTN et Moov Africa?
Si les amendes font tiquer, elles révèlent une régulation enfin musclée. Mais l’ARCEP joue aussi aux funambules : sanctionner tout en accordant un nouveau sursis de 12 mois aux opérateurs, c’est risquer de légitimer une culture du rattrapage perpétuel. « Ces pénalités doivent être un vaccin, pas un pansement », tempête un expert sous couvert d’anonymat.
Pendant ce temps, les utilisateurs ruraux, eux, patientent. Comme Adélaïde, commerçante à Kpédékpo : « Ici, le réseau, c’est une légende. » « On paie des forfaits pour des barres de connexion fantômes. » Un cri du cœur qui résume l’enjeu : le Bénin pourra-t-il concilier sanctions exemplaires, promesses industrielles et urgence citoyenne ?
L’heure des choix technopolitiques
Le rapport de la GSMA esquisse une feuille de route : moderniser les licences télécoms, libérer les fréquences, former aux compétences digitales… Autant de chantiers qui exigent un dialogue serré entre État, opérateurs et société civile. Car sans investissements ciblés et transparence, les 1 200 milliards de PIB promis resteront un mirage statistique.
Alors que MTN et Moov mijotent leur riposte, une question persiste : ces sanctions marquent-elles un tournant ou un épisode de plus dans la saga des engagements en pixelographie ? Réponse en 2026, à l’échéance de la nouvelle mise en demeure. D’ici là, le Bénin devra trancher : être un élève modèle du numérique… ou un éternel aspirant.