Cotonou, jeudi 30 janvier 2025 – La Cour constitutionnelle béninoise, temple des équilibres institutionnels, s’apprête à trancher des dossiers aux résonances sismiques. En effet, au cœur de cette audience plénière : quatorze recours, dont trois cristallisent les fièvres d’une nation suspendue entre légalisme et conjectures. Ainsi, L’ombre de Patrice Talon, président aux déclarations sibyllines, plane sur ce ballet procédurier, où se joue rien moins que l’avenir du pacte démocratique béninois.
L’Énigme Talon : entre renoncement affiché et ambiguïté calculée
Le recours déposé par Christian Enock Lagnidé, opérateur économique et figure politique, agit comme un catalyseur de tensions. Il interroge la Cour sur un point cardinal : le Bénin a-t-il basculé dans une « nouvelle République » depuis la révision constitutionnelle de 2019, rendant ainsi possible un troisième mandat pour Patrice Talon en 2026 ? Une question qui, sous son apparente technicité, charrie des enjeux existentiels.
Le président Talon, lors d’un entretien récent, a réitéré son refus de briguer un troisième mandat. Mais dans les arcanes du pouvoir, certains murmurent qu’il s’agirait d’une « stratégie du désir différé », une manière d’entretenir, par déni feutré, les appels de ses affidés à une prolongation. La saisine de la Cour, orchestrée par un proche de l’appareil présidentiel, alimente l’hypothèse d’une manœuvre « à double détente » : tester les eaux juridiques avant un éventuel bond politique.
La HAAC : un régulateur média sous le scalpel de la censure ?
Parmi les autres dossiers brûlants, la réforme du règlement intérieur de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) suscite des craintes de « verrouillage médiatique ». Adopté suite à la décision DCC 25-005, ce texte, présenté comme un outil de régulation moderne, pourrait en réalité consacrer un contrôle accru sur les contenus critiques. Des observateurs dénoncent un « habillage technocratique » masquant une restriction sournoise de la liberté de la presse, pilier pourtant sacralisé par la Constitution de 1990.
La déclaration qui embarrasse : quand la vice-présidente ravive les braises ?
Par ailleurs, l’affaire portée par Guy Mitokpè, secrétaire national des Démocrates (LD), ajoute une couche de dramaturgie. Elle remonte aux déclarations de la Vice-présidente Mariam Chabi Talata lors d’une tournée à Allada en 2024, où elle avait évoqué, avec un sourire énigmatique, la possibilité d’un « prolongement du leadership actuel ». Des propos perçus comme un ballon d’essai, rapidement dégonflé par le Palais de Marina, mais jamais totalement désamorcé. La Cour devra déterminer si ces mots relèvent de la « lubie individuelle » ou d’une « stratégie de communication orchestrée ».
La Cour, arbitre d’un jeu aux enjeux tectoniques
Si la Cour constitutionnelle, réunie dans la salle Monseigneur Isidore de Souza, demeure théoriquement au-dessus de la mêlée, ses décisions seront lues à la loupe. Deux scénarios se dessinent :
- Le statu quo renforcé : la Cour valide l’interprétation actuelle de la Constitution, enterrant l’hypothèse d’un troisième mandat et apaisant temporairement les craintes d’un « glissement autoritaire ».
- L’ouverture pandorique : en reconnaissant l’avènement d’une « nouvelle République », elle offrirait à Talon une porte de sortie juridique pour briguer 2026, déclenchant une onde de choc politique.
Une démocratie à la croisée des chemins
En somme, au-delà des arguties juridiques, ce jeudi historique interroge la résilience du modèle béninois, souvent encensé comme « phare démocratique » en Afrique de l’Ouest. Les récentes réformes, le code électoral controversé, le musellement de l’opposition ont érodé ce capital symbolique. La gestion de ce dossier par la Cour constituera un test décisif : confirmera-t-elle son rôle de « gardienne des équilibres » ou actera-t-elle son inscription dans une logique de « constitutionnalisme de façade » ?
L’Afrique observe. Le Bénin retient son souffle.