Un 1ᵉʳ mai 2025 sous haute tension à Cotonou : la liberté syndicale mise à l’épreuve
Le 1ᵉʳ mai , jour consacré à la célébration des travailleurs, a pris des allures de bras de fer à Cotonou, capitale économique du Bénin. Alors que la Confédération syndicale des travailleurs du Bénin (CSTB) appelait à une marche pacifique pour défendre les droits des travailleurs, l’élan revendicatif s’est heurté à une répression brutale. Kassa Mampo, figure emblématique du syndicalisme béninois et secrétaire général de la CSTB, a été interpellé avec son adjoint Norbert Kouto et plusieurs militants, avant d’être libéré en fin de journée. Ce soubresaut, loin d’être anodin, révèle les tensions persistantes entre le pouvoir et les forces syndicales, dans un pays où la liberté d’expression semble marcher sur un fil fragile.
Marche avortée, arrestation musclée : récit d’un 1ᵉʳ mai réprimé à Cotonou
Concrètement, la marche a été avortée et le message étouffé par la force. Dès l’aube, la place de l’Étoile Rouge, point de ralliement prévu pour la marche, s’est transformée en théâtre d’intimidation. Un imposant dispositif policier a barré la route aux manifestants, empêchant tout rassemblement. Contraints de se replier vers la Bourse du Travail, les travailleurs ont tenté de faire entendre leur voix, brandissant des revendications légitimes : meilleures conditions de travail, école gratuite pour tous, recrutements d’enseignants, respect des libertés syndicales. Mais ce refuge symbolique n’a pas suffi à les protéger. Sous le regard du directeur départemental de la Police républicaine, Dah Lokonon, une intervention musclée a conduit à l’arrestation de Kassa Mampo, Norbert Kouto ainsi que de cinq autres militants, dont Damien Degbé et Léandre Doussouh. Des gaz lacrymogènes ont dispersé les derniers irréductibles, tandis que la liberté d’expression, si chèrement acquise, semblait s’effilocher dans l’air âcre.
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Kassa Mampo : le symbole de la résistance syndicale béninoise, arrêté puis libéré sous pression
Cet événement a suscité de vives réactions ; une arrestation aux contours flous a particulièrement interpellé. L’interpellation, survenue dans les locaux mêmes de la Bourse du Travail, a suscité stupeur et indignation. Selon des sources proches de la CSTB, les forces de l’ordre auraient agi sans motif clair, une pratique qui rappelle les neuf arrestations qu’a subies Kassa Mampo depuis 1985 pour son militantisme. Conduits à la Brigade criminelle pour une audition, les syndicalistes ont vu leur sort suspendu à une opacité déconcertante. Aucune communication officielle n’a filtré sur les raisons de cette détention, laissant planer le spectre d’une répression ciblée contre une marche pourtant annoncée dès le 22 avril par un communiqué signé de Mampo lui-même.
L’avocat du leader syndical, Me Aboubacar Baparapé, a fait son entrée dans les locaux de la brigade vers 16 h, tandis qu’une délégation de syndicalistes, menée par Appolinaire Afféwé (UNSTB) et Moudachirou Bachabi (CGTB), s’est massée aux abords pour témoigner sa solidarité. « Nous sommes venus par esprit de fraternité syndicale », a déclaré un représentant, la voix teintée de détermination. Ce soutien, conjugué à la pression de l’opinion publique, a sans doute pesé dans la balance : en début de soirée, Kassa Mampo et ses compagnons ont recouvré la liberté, après une audition aussi brève qu’énigmatique.
Liberté syndicale en survie : les plaintes étouffées des travailleurs béninois
Cependant, bien que cette libération soit un soulagement, elle n’efface pas les questions sur la liberté syndicale en sursis. Kassa Mampo, 62 ans, n’est pas un novice dans l’arène des luttes sociales. Né à Natitingou, cet ancien étudiant en philosophie, titulaire d’une maîtrise, a forgé son destin dans la défense des droits des travailleurs. Élu secrétaire général de la CSTB en 2017, il incarne une voix inflexible face aux dérives du pouvoir. Ses multiples arrestations, toujours suivies de libérations sous la pression populaire, en font un symbole de résilience. En 2023, il portait plainte contre le gouvernement auprès de l’Organisation internationale du travail pour « violations des libertés syndicales », un combat qu’il poursuit avec une ténacité rare. Ce 1ᵉʳ mai 2025, son interpellation n’a fait que raviver la flamme de sa détermination.
Cet épisode, s’il s’achève par une libération, n’efface pas les questions qu’il soulève. La marche de la CSTB, prévue dans les 12 départements du Bénin, visait à dénoncer la dégradation des conditions de vie sous le régime de Patrice Talon. Depuis son arrivée au pouvoir en 2016, les syndicats déplorent une restriction croissante des droits, des arrestations arbitraires et une absence de dialogue sur des revendications essentielles, comme l’école gratuite pour tous. L’ancien député Guy Dossou Mitokpè, dans une déclaration cinglante, a dénoncé une « nouvelle atteinte aux libertés syndicales », exigeant des comptes aux autorités.
Le silence de la Police républicaine, qui n’a fourni aucune explication officielle, contraste avec la clameur des réseaux sociaux et des médias locaux. Cependant, certains ont salué la libération des syndicalistes comme une victoire arrachée de haute lutte. Mais cette liberté retrouvée ne masque pas une vérité plus amère : au Bénin, le droit de manifester reste une conquête précaire, surveillée par un pouvoir prompt à brandir la matraque.
Cotonou : entre tension permanente et appel à la justice pour les travailleurs
En somme, hier, Cotonou a vibré d’une énergie contradictoire : celle d’un peuple déterminé à se faire entendre et celle d’un État qui, par la force, cherche à imposer le silence. La libération de Kassa Mampo et de ses camarades, si elle apaise temporairement les tensions, ne résout pas le malaise profond. Les travailleurs, confrontés à la cherté de la vie et à l’érosion de leurs droits, attendent des réponses concrètes. Le gouvernement, qui vantait le même jour ses avancées sociales – 10 247 jeunes recrutés via le Psie, 42 377 accompagnés par Azôli – devra prouver que son discours n’est pas qu’un vernis.
Dans l’ombre de l’Étoile Rouge, un message persiste : la lutte syndicale, malgré les entraves, refuse de plier. Kassa Mampo, libre, mais toujours combatif, l’a rappelé avec force : « Le 1ᵉʳ mai n’est pas une fête, mais un cri pour la justice. » Au Bénin, ce cri résonne encore, en quête d’un écho qui ne soit pas celui des gaz lacrymogènes.