Située à environ une quinzaine de kilomètres de Porto-Novo, est une localité de la commune d’Adjarra. Connue comme une plateforme tournante du trafic fluvial des produits entre le Bénin et le Nigéria. Un trafic qui prospère grâce au travail des enfants, un phénomène à la peau dure qui maintient la localité dans la pauvreté.
Embarcadère de Mèdédjonou. En ce début de matinée. Le lieu grouille de monde et se désemplit pas. L’affluence est à son comble comme à l’accoutumée. Hommes, femmes, jeunes et enfants, se ruent vers ce lieu soit pour le transfert de marchandises des barques motorisées vers le poste de douane de la localité ou pour l’embarquement pour rejoindre l’autre bord de la rive du côté du grand voisin de l’Est, afin d’acheter des marchandises. Conducteur de taxi moto, commerçants, élus locaux, sages et conducteurs de barques bravent en cette période de crise sanitaire les mesures barrières à la COVID-19 au profit du gain journalier. Au cœur des activités de ces différents acteurs, des enfants âgés pour la plupart de sept (07) à quatorze (14) ans, exploités pour le transfert de marchandises.
Le travail des enfants, ici on n’en a pas cure.
Des petits garçons de 7 à 14 ans, pour la plupart, s’occupent soit du déchargement des marchandises sur la terre ferme vers le poste de douane à quelques encablures de là, soit du chargement dans les barques motorisées. Denrées alimentaires, objets en plastique, sachets, boissons en bouteille, en canette ou en plastique, bananes plantains, casse-croutes, sont entre autres produits dont les enfants assurent le transfert. Des barques motorisées à la surface terrestre, les enfants prennent 50F ou 100F selon le poids de la marchandise. Il en est de même pour le transfert desdites marchandises du bord de la rivière au poste de douane de la localité.
« Moi je viens aider par moment, ma maman à faire rentrer les marchandises d’ici pour la maison. Mais aujourd’hui, je suis là pour chercher un peu d’argent. C’est pourquoi quand les barques viennent, j’accours pour aider les gens à sortir leurs marchandises de l’eau », explique Yves Yémangnissè, 9 ans et apprenti maçon à Mèdédjonou. Je ne suis pas allé au service aujourd’hui, précise-t-il, parce que celui que j’accompagne est au repos.
« Je suis venu prendre des bagages pour gagner quelques chose aujourd’hui. Et ce matin, j’ai déjà fait au moins cinq tours au poste de douane et gagné 500F », confie le jeune artisan, satisfait du gain empoché vers 10 heures.
Comme lui, Jésugnon Hounton de la même tranche d’âge et écolier au cours moyen deuxième année (CM2) au complexe scolaire de Mèdédjonou centre, n’a trouvé autre solution que de se rendre à l’embarcadère de la localité aprèsson renvoi de l’école pour défaut d’acte de naissance. A l’en croire la pièce lui est réclamée à l’école pour la constitution des dossiers de l’examen du certificat d’étude primaire .
« On m’a renvoyé de l’école. On nous demande d’amener nos actes de naissance. Mais moi, je n’en ai pas. C’est pour ça je suis venu faire mon job », a indiqué le jeune garçon. Le géniteur s’en préoccupe peu « Tu n’as pas d’acte de naissance », aurait-il simplement lancé à son gamin.
Abraham Houéto âgé de 14 ans et Eymard Alossè tous en classe de 5ème au CEG Tchakou Sèmè dans la commune d’Adjarra, sont aussi dans le transfert de marchandises après les cours de la matinée. Une activité qui, avouent-ils, les empêche d’apprendre les leçons comme il le faut. « Moi je ne fais qu’apprendre mes leçons sur place à l’école. Une fois à la maison, je viens seulement pour le job afin de trouver de quoi payer quelques vêtements après », a laissé entendre Eymard Alossè.
Cette activité que mènent les enfants à Mèdédjonou, élus locaux et sages en sont conscients et se voient incapables de l’interdire malgré les conséquences. « Chez nous ici à l’embarcadère de Mèdédjonou, ce sont nos enfants qui s’occupent du transfert des marchandises », a fait savoir Nestor Djikinyédo, chef village de Mèdédjonou.
Gain facile, avenir compromis
L’exploitation des enfants dans le cadre du transfert de marchandises à Mèdédjonou reste et demeure un véritable casse-tête pour le développement de cette localité. La déscolarisation, la pauvreté et même le sous-développement sont entre autres maux qu’engendre ce phénomène dans cette localité de la commune d’Adjarra où à la recherche de la pitance journalière, des enfants sacrifient leur avenir à la barbe et au nez des parents et élus locaux.
Pour le chef village de Mèdédjonou, Nestor Djikinyédo, le job que font les enfants constitue un choc pour les parents et toute la population de l’arrondissement de Mèdédjonou. C’est un grand coup que nous recevons ainsi, nous les parents, a-t-il regretté. A cause de ce fleuve, explique l’élu local, » nos aînés n’ont pas pu étudier. Ils ont été attirés par ce trafic et nous n’avons pas de cadres comme il le faut aujourd’hui ».
« Nos enfants également, font de même et abandonnent aujourd’hui les classes au profit de ce job. Or, eux qui sont exploités pour le transfert de marchandises ne font que s’occuper de ce rôle et les enfants de leurs clients poursuivent normalement leur cursus scolaire pour devenir de grands cadres », a poursuivi le chef de village. Malheureusement, rares sont les enfants qui en sont conscients et qui s’occupent de leurs études.
« Nous l’avons dit et nous avons sensibilisé vainement à propos, mais les enfants persistent et c’est vers ce job ils se ruent tous. Moi-même qui suis ici, je suis un artisan de profession. Mais je n’ai jamais exercé mon métier et c’est dans les activités autour de cette rivière que j’ai passé toute ma vie », a laissé entendre Benoit Alovokpènou, la cinquantaine. Ce quinquagénaire, a expliqué par ailleurs que cette activité à laquelle s’adonnent jeunes, hommes, femmes, sages et enfants de Mèdédjonou apparait comme un héritage de leurs ancêtres. « Nous sommes venus voir nos parents dans ses activités. Nous l’avons fait et nous continuons de le faire. Ce qui intéressent encore la génération montante », a-t-il exposé.
Le travail des enfants prend d’ampleur de jour en jour à Mèdédjonou. Diverses actions ont été menées par différents acteurs qui, malheureusement, n’ont eu aucun effet jusque-là. Des sensibilisations aux mesures répressives en passant par les plaidoyers des acteurs de l’éducation à la base, aucune action n’a abouti à l’interdiction de la fréquentation de l’embarcadère de Mèdédjonou aux enfants.
« Les sensibilisations n’ont pas manqué. Il y a eu diverses initiatives en la matière que la police a appuyées. Mais les enfants cessent de venir pour un temps et reprennent de plus bel », a expliqué le lieutenant de police, Hervé Tossou, commissaire adjoint du commissariat de Mèdédjonou. Les responsables des embarcadères et les élus locaux ont été instruits pour entreprendre des initiatives du genre dans le village afin de réduire la fréquentation de ce lieu par les enfants, a-t-il rappelé. Pour la plupart, souligne le commissaire adjoint, ils disent perpétuer le travail de leurs aïeux.
A en croire le commissaire du commissariat de Mèdédjonou, Ambroise Ezin, la fuite de responsabilité des parents est à la base de cette situation. Il appelle à une prise de conscience afin de renverser la tendance dans l’arrondissement de Mèdédjonou où malheureusement, face aux réticences et à la quête du gain rapide, l’activité semble avoir encore de beaux jours devant elle.
( Par Innocent Degnidé)